Pendant la trêve, Emmanuel Macron gouverne absolument seul : un régime d’exception ?



Pendant la trêve, Emmanuel Macron gouverne absolument seul : un régime d’exception ?

by Thor1noak

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  1. *par Isabelle Boucobza, Charlotte Girard, Arnaud Le Pillouer, Professeurs de droit public à l’Université Paris Nanterre*

    Non seulement le président de la République nie la courte majorité relative du NFP des élections législatives, mais en refusant de nommer un gouvernement de plein exercice et en instaurant une trêve politique sous couvert des JO, il concentre tout le pouvoir exécutif entre ses mains, pointent des professeurs de droit public.

    Le régime politique français a longtemps été vanté pour la force et la stabilité que permettait son «présidentialisme» voire son «ultra-présidentialisme». En Italie, Giorgia Meloni a par exemple longtemps loué les mérites du modèle français et souhaité l’adopter en le proposant pour réformer les institutions italiennes décidément trop instables. Elle s’est toutefois ravisée à la suite de la réélection d’Emmanuel Macron en 2022 puisque les élections législatives l’ont privé d’une majorité absolue indispensable pour qu’il puisse diriger le pays à sa guise. Pour autant, le président de la République est malgré tout demeuré le chef de l’exécutif avec une majorité seulement relative et il a pu gouverner avec détermination.

    Il a été en mesure de le faire, durant ces deux années, grâce à l’appui d’une sorte de coalition implicite entre les partis de la majorité présidentielle et les Républicains, qui non seulement ont voté nombre de projets de loi déposés par les gouvernements depuis 2022, mais se sont surtout systématiquement abstenus de voter les (nombreuses) motions de censure déposées à leur encontre.

    Et puis, comme chacun sait, il y a eu la dissolution à la suite de la défaite du camp présidentiel aux élections européennes – et le président de la République n’a aujourd’hui même plus de majorité relative. Si aucune force politique ne dispose de la majorité absolue, il en est une qui dispose d’une courte majorité relative : le Nouveau Front populaire (NFP). Elle a même proposé une Première ministre en la personne de Lucie Castets. Au regard de la pratique antérieure à la dissolution, peut-on en conclure que, soutenue par une majorité relative, elle serait en mesure de gouverner ?

    Non, répond Emmanuel Macron : «Ce n’est pas le sujet.» Pourquoi ? Réponse : personne, pas plus le NFP que les autres ne disposent d’une majorité suffisante pour gouverner. On comprend néanmoins que le fameux «bloc central» (réunissant les partis du camp présidentiel et les Républicains) pourrait servir de socle à une future majorité – quitte à ce que celle-ci soit ponctuellement élargie, peut-être à sa gauche, mais aussi, pourquoi pas, à sa droite : n’a-t-il pas martelé lors de sa dernière interview qu’il fallait «écouter le choix des 11 millions de Français qui ont voté pour le Rassemblement national» ? Ainsi, tranquillement, du haut de son rôle constitutionnel de gardien des institutions, il propose, au même titre que les chefs d’Etat des régimes parlementaires voisins, d’aller chercher des compromis pour former cette large majorité de coalition qui serait la mieux à même de gouverner le pays.

    Tout paraît si simple. Pourtant, chacun perçoit que politiquement, son raisonnement a quelque chose d’extravagant. Car Emmanuel Macron ne saurait prétendre être ce chef d’Etat parlementaire cherchant à déterminer «objectivement» quelle est la meilleure coalition possible pour gouverner une assemblée divisée, précisément parce qu’il est ce président de la Ve République qui a effectivement gouverné le pays. Or, il l’a fait ces deux dernières années justement grâce au soutien de la coalition implicite entre son camp et les Républicains. Selon Emmanuel Macron, la seule conséquence de la dissolution qu’il a décidée seul et qui l’a conduit à une défaite si incontestable qu’il a fini par la reconnaître lui-même, serait donc que ladite coalition passe de l’ombre à la lumière – ce qui lui permettrait de continuer à gouverner. Mais alors à quoi bon voter ? A quoi bon glisser un bulletin dans l’urne, si l’expression du suffrage ne sert plus à sanctionner ceux qui exercent le pouvoir ?

    Emmanuel Macron a même souverainement «décrété» une trêve politique sous couvert de Jeux olympiques : cette trêve a cependant tout l’air d’inaugurer une phase d’exception durant laquelle il gouvernera seul, sans gouvernement de plein exercice – puisque le gouvernement Attal est démissionnaire – et sans Parlement, au moins jusqu’au début du mois d’octobre. En effet, en vertu de l’article 12 de la Constitution, le Parlement ne sera pas en session au début du mois d’août. La convocation d’une session extraordinaire paraît assez improbable puisqu’elle suppose une convocation par le président de la République sur proposition du gouvernement ou d’une majorité absolue de députés sur «un ordre du jour déterminé». Le Parlement se trouve ainsi privé tant de sa fonction de contrôle de l’action du gouvernement puisqu’il est déjà démissionnaire (sans parler des ministres qui siègent à l’Assemblée nationale en tant que députés) que de sa fonction législative.

    Autrement dit, et paradoxalement au regard de la sanction électorale qu’Emmanuel Macron vient de subir, on se dirige vers une situation dans laquelle le président de la République se retrouvera seul à pouvoir exercer la plénitude de ses prérogatives constitutionnelles. À peu de chose près, c’est une sorte d’article 16 en version (très) dégradée qui verrait le jour. Pendant cette période de «trêve», il est même assuré de ne pas être inquiété par des manifestations dans la rue grâce aux dispositifs sécuritaires mis en place pour la période olympique.

    Que se passera-t-il ensuite ? Pour le président de la République, aucun doute ne semble permis : il s’agira pour lui de gouverner. Gouverner, quoi qu’il en coûte… à la démocratie.

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