Dans « GTA », la ville où le joueur devient le héros de sa propre fiction



Dans « GTA », la ville où le joueur devient le héros de sa propre fiction

by Folivao

3 comments
  1. **Série d’été : La saga « GTA », un rêve américain :**

    Episode 1 : : [« GTA » : comment un jeu de sales gosses est devenu un phénomène planétaire](https://www.reddit.com/r/france/comments/1er1sy3/gta_comment_un_jeu_de_sales_gosses_est_devenu_un/)

    [Episode 2 : [Mettre en avant le caractère violent et amoral de son jeu pour qu’il devienne populaire, la stratégie « GTA »](https://www.reddit.com/r/france/comments/1ervsgz/mettre_en_avant_le_caract%C3%A8re_violent_et_amoral_de/)

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    **« La saga GTA, un rêve américain » (3/5). « Grand Theft Auto » a emprunté son décor à de grandes métropoles des Etats-Unis, comme New York et Miami, telles que les montre le cinéma. Là, le joueur est libre de devenir le héros de sa propre fiction – ou le figurant d’un monde plus vaste que lui.**

    Dans Grand Theft Auto V (2013), le centre de la carte est occupé par Vinewood, et c’est tout sauf un hasard… Cette colline, flanquée de l’immanquable panneau parodiant celui d’Hollywood, domine la ville fictive de Los Santos, elle-même inspirée de Los Angeles. Elle ne cesse de signaler que tout, ici, n’est que décor : celui d’un film, dont vous êtes le héros.

    Un film ou même tous les films. Avec ses trois gangsters de bas étage dont les histoires s’entrecroisent, GTA V a un air de Pulp Fiction, la Palme d’or qui a fait de Quentin Tarantino le roi des films de truands en 1994. D’autres références sont, sinon plus subtiles, du moins plus discrètes : on croisera, par exemple, le chapeau d’Indiana Jones, une scène de crime tirée de No Country for Old Men, des frères Cohen (2007), une hache plantée dans une porte comme dans Shining, de Stanley Kubrick (1980), ou une fresque montrant Marylin Monroe, John Wayne et Charlie Chaplin…

    Cette cinéphilie est assumée par les développeurs dès les origines de la série. Au départ, si GTA se déroule dans des Etats-Unis fantasmés, c’est d’abord pour des raisons techniques : tels que les Ecossais de DMA Design l’ont conçu, l’affichage de la ville dans Grand Theft Auto (1997) est calculé case par case, à la façon d’une grille vue du dessus – grille au sein de laquelle les bâtiments à angles droits et les routes larges s’intègrent naturellement.

    Mais, dès les premiers mois de son développement, le prototype de ce qui deviendra le premier GTA est fortement influencé par les cascades automobiles des blockbusters de son époque, Speed (1994) et Heat (1995), ainsi que des séries des années 1980 qui ont bercé l’enfance de l’équipe : Deux flics à Miami ou L’Agence tous risques. « Il y avait la volonté de susciter un sentiment d’évasion. Celui de se retrouver au volant de voitures de rêve et de recréer des courses-poursuites folles que l’on voyait à la télévision et au cinéma », se rappelle Paul Farley, cocréateur du jeu.

    **Décors urbains et road-movie**

    Lorsqu’il rejoint le studio DMA Design en 1994, une dizaine de personnes travaillent sur ce projet de jeu de course urbain, encore baptisé Race’n’Chase, dans lequel on peut incarner alternativement les policiers et les voleurs. D’un commun accord, ils parient sur « la familiarité instantanée du public » avec les films et les séries produits aux Etats-Unis. « Tout le monde a déjà vu un film hollywoodien, non ? », justifie le game designer. Plus tard, quand il est finalement décidé de se focaliser sur les criminels, ce sont davantage les références au Parrain ou aux Affranchis qui s’imposeront.

    La conception de chacune des trois villes du jeu est confiée à un développeur différent. Paul Farley, ancien étudiant en architecture reconverti en créateur de jeux vidéo, jette rapidement son dévolu sur la cité la plus peuplée des Etats-Unis : « Je savais que ma ville allait être la première que le joueur allait parcourir. Et je ne pouvais pas trouver plus iconique que New York. » Les autres optent pour Miami et San Francisco. Les trois villes, immédiatement reconnaissables, deviendront respectivement Liberty City (avec son île centrale et ses gratte-ciel), Vice City (bordée par une plage) et San Andreas (avec ses rues en pente et son équivalent du Golden Gate Bridge). Les monuments et quartiers des véritables villes sont disposés sur leurs cartes, sans soucis de réalisme. Les cités sont grossièrement maquillées, de la même façon que les précédentes productions du studio (Hired Guns, Walker), toujours à la limite du pastiche, avaient déjà dissimulé leurs emprunts à des classiques de la science-fiction – Terminator (1984) en tête.

    En 2001, l’avènement de la 3D permet de modifier le placement de la caméra de Grand Theft Auto III et d’en donner le contrôle au joueur, dévoilant Liberty City à hauteur d’homme. La simulation de vastes cités, toujours plus réalistes et grouillantes de vie, devient l’argument de vente des jeux de DMA Design (renommé Rockstar North en 2002), au point que les épisodes de 2002 et 2004 porteront le nom des villes dans lesquelles ils se déroulent : Vice City, évoquant le Miami des années 1980, et San Andreas, réplique des villes de l’Ouest américain gangrenées par les gangs des années 1990.

    **« La ville est assourdissante »**

    Dans GTA V, qui reproduit en miniature plusieurs lieux emblématiques de Californie du Sud, la tentaculaire Los Santos est une savante « recomposition » de Los Angeles, rappelle John Wills, directeur du centre des études américaines de l’université du Kent. « Les développeurs ont effacé les parties sans âmes de Los Angeles pour les remplacer par des représentations purement architecturales. La ville, toujours critiquée pour son absence de centre, est plus facile à explorer, plus compacte et expressive dans sa version numérique », relève l’auteur de Gamer Nation. Video Games and American Culture (« La nation des joueurs. Jeux vidéo et culture américaine », 2019, Hopkins Press, non traduit).

    Outre celle des films d’action et de mafia, Grand Theft Auto s’inscrit également dans la lignée du genre cinématographique du road-movie, dans lequel, selon l’expression consacrée, le voyage compte davantage que la destination. « On a toujours pensé que les joueurs auraient une meilleure expérience de la ville s’ils devaient la traverser », se souvient Obbe Vermeij, directeur technique des GTA entre 1999 et 2009. Contrairement à la plupart des titres du genre, il est d’ailleurs impossible dans les premiers GTA de se téléporter ou même de se faire conduire automatiquement d’un point à l’autre : ce n’est qu’à partir de GTA IV (2008) que des taxis jaunes ou des chauffeurs pourront transporter le joueur en échange d’une commission. Depuis le siège passager, comme installé au fond d’un fauteuil de cinéma, le joueur pourra alors s’abandonner à la pure contemplation du décor urbain qui défile. A pied ou en voiture, il est possible d’approcher chaque monument qui se détache à l’horizon, d’examiner chaque bâtiment sous tous les angles.

    « Aucun autre genre ne propose autant d’éléments de distraction que les jeux urbains. La ville, en tant qu’espace de jeu, est assourdissante. Quel que soit l’endroit où vous arrivez, beaucoup de détails vous crient au visage. Même les publicités sur les murs sautent aux yeux », s’enthousiasme Przemyslaw Sawicki, responsable du monde ouvert de Cyberpunk 2077 (CD Projekt RED, 2020), un jeu qui, comme GTA, a fait de sa métropole son personnage principal.

  2. Je retiens le succès de Jesper Juul.

    “Chercheur en études vidéoludiques de l’Académie royale des beaux-arts du Danemark” c’est un sacré job title. RESPECT.

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