Deux scènes qui reflètent les clivages traversant la Moldavie : ceux qui aspirent à se tourner résolument vers l’Europe côtoient les nostalgiques de l’époque soviétique, craignant que l’entrée dans l’Union ne détruise leurs valeurs ou souhaitant rester en bons termes avec le grand voisin.
Ces divisions se sont reflétées dans les résultats du référendum du 20 octobre : 50,46 % des Moldaves ont voté pour l’entrée de leur pays dans l’UE. Un élan bien moins fort que prévu : les sondages tablaient sur 45 % à 60 % de votes favorables. Comme à la présidentielle de 2020, le vote de la diaspora moldave, qui représente un tiers de la population, a joué un rôle crucial. Sans son million de voix, le « non » l’emportait.
En prenant l’initiative d’un tel référendum le même jour que le premier tour de la présidentielle, la réformiste et proeuropéenne Maia Sandu, 52 ans, se lançait dans un pari plus périlleux qu’elle ne l’avait peut-être estimé. D’abord, parce que la Moldavie fait face à un contexte très difficile. Partageant une frontière avec l’Ukraine, la jeune République a vu transiter sur son territoire 1 million de réfugiés ukrainiens après l’agression russe du 24 février 2022, dont 300 000 environ sont restés.
Atteinte par de multiples chocs (Covid, inflation, crise énergétique…), l’économie tourne au ralenti (0,7 % de croissance en 2023), alors que le coût de la vie a beaucoup augmenté. Ces difficultés nourrissant un fort mécontentement, le référendum sur l’Europe risquait de se transformer en vote anti-Sandu.
Espoirs déçus
De fait, les résultats du premier tour de la présidentielle témoignent de l’érosion de la popularité de la cheffe d’Etat. Avec 42 % des voix, elle est certes arrivée en tête, loin devant son premier opposant Alexandr Stoianoglo, prorusse, qui obtient cependant un score très supérieur aux pronostics, avec 26 % des suffrages.
Le second tour s’annonce donc plus incertain qu’en 2020, quand elle l’avait confortablement emporté. Perçue comme froide et technocratique, Maia Sandu n’a pas répondu aux espoirs qu’elle avait suscités. Et la réforme de la justice, promesse phare de son premier mandat, a été bien plus laborieuse que prévu.
L’euroscepticisme qui s’est exprimé le 20 octobre témoigne aussi de l’ampleur des ingérences russes dans cette double campagne électorale. Recevant au cœur du palais présidentiel, mammouth de béton de style soviétique, Stanislav Secrieru, conseiller à la Sécurité de la présidente, en décrit l’étendue : « L’immixtion de la Russie dans le double scrutin a été multiforme, allant de la prolifération de candidats fantoches à la désinformation massive, en passant par des programmes d’achat direct de voix. »
Un ancrage à l’Ouest
Début octobre, la police moldave a ainsi révélé au public l’existence d’un vaste réseau de corruption au service du parti prorusse Shor, piloté depuis Moscou par l’oligarque en fuite Ilan Shor. Au total, les voix de 130 000 Moldaves – l’équivalent de 5 millions d’électeurs en France – ont ainsi été achetées par Shor. Parallèlement, Moscou abreuve les minorités – russophones, turcophones, bulgares… – de discours sur « l’oppression » du pouvoir central.
Acquis de justesse, le « oui » à l’Europe n’en confirme pas moins l’ancrage à l’Ouest de la Moldavie : il va permettre d’inscrire l’intégration à l’UE dans la Constitution, compliquant toute tentative d’abandon. Une avancée qui permet à la Moldavie d’accélérer encore, après avoir obtenu en juin 2022 le statut officiel de candidat, ce qui aurait semblé impensable avant la guerre en Ukraine. « Maia Sandu a réussi à utiliser le choc géopolitique pour emmener son pays vers l’Europe », rappelle le chercheur Florent Parmentier. « Nous avons eu la chance d’avoir une présidente qui a réussi, malgré la guerre à nos frontières, à préserver la stabilité du pays et à attirer un soutien international », abonde le politiste Iulian Groza, directeur du think tank proeuropéen IPRE.
Le Kremlin dénonce le scrutin
Dorénavant placée sur la carte du monde, la petite République ayant inspiré la Syldavie d’Hergé voit depuis deux ans défiler sur son territoire les chefs d’Etat – depuis Emmanuel Macron jusqu’au secrétaire d’Etat américain Antony Blinken, en passant par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Geste fort, une semaine avant le double scrutin, cette dernière est venue avec un plan d’aides de 1,8 milliard d’euros destiné à doubler la taille de l’économie.
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Le succès fragile du « oui » à l’Europe a déjà été exploité par le Kremlin, qui a dénoncé des « anomalies » dans le comptage des voix. Maia Sandu ne pourra pas se prévaloir d’un élan populaire. Mais elle pourrait renverser l’argument : dans une situation vulnérable, victime d’une guerre hybride, son petit pays a besoin d’aide. Plus que jamais.
Une émancipation énergétique
Le 31 décembre, l’Ukraine ne renouvellera pas le contrat qui permet au russe Gazprom de livrer du gaz à l’Europe en passant par son territoire. Cela risque-t-il de plonger dans le noir la Moldavie ? « Le pays est prêt à affronter l’hiver », rassure Victor Parlicov, le ministre moldave de l’Energie. Car le plus dur du chemin vers l’indépendance énergétique a été accompli.
Jusqu’en 2019, la Moldavie était ligotée par une double dépendance à la Russie : 100 % de son gaz était fourni par Gazprom. Et les principaux nœuds de son réseau électrique passaient par la Transnistrie, région sécessionniste prorusse coincée entre l’Ukraine et le fleuve Dniestr. Aujourd’hui, le pays s’approvisionne, au prix fort, notamment auprès du Qatar. Une alternative rendue possible depuis que le gazoduc transbalkanique a changé de sens, permettant d’acheminer le gaz du sud vers le nord. S’agissant de l’électricité, l’étape la plus cruciale s’est produite le 16 mars 2022, quand les systèmes ukrainien et moldave ont été raccordés au réseau européen. Des lignes d’interconnexion avec la Roumanie sont en construction pour libérer Chisinau de la dépendance qui subsiste encore envers la Transnistrie.