Les échanges de terres frontalières entre États limitrophes ne sont pas courants, mais ils existent. En témoigne la vente de ce bout de pâturage appartenant hier encore aux Pays-Bas alors qu’il était en territoire flamand.

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Depuis près de 200 ans, c’est-à-dire depuis le moment où la Belgique a fait sécession pour devenir indépendante, ce terrain appartenait officiellement aux Pays-Bas. Il s’agit d’un hectare situé dans la réserve naturelle du Stramprooierbroek, à la frontière entre les deux pays.

Jusqu’à la révolution de 1830, les cartes renseignaient cette terre sur l’ancienne commune de Stramproy, devenue Weert (Limbourg néerlandais). Mais en 1839, réglant enfin le conflit qui avait failli rétablir l’autorité des Pays-Bas sur la Belgique, le Traité de Londres avait tracé la frontière séparant les deux pays. Et le lopin de terre dont il est question aujourd’hui s’était retrouvé du côté belge tout en continuant paradoxalement à appartenir à la commune néerlandaise de Stramproy. Un sacré imbroglio.

Précisons que le Traité de Londres, qui a reconnu le nouveau royaume de Belgique comme État indépendant, a dans la foulée conduit à la création du Grand-Duché de Luxembourg en tant qu’entité distincte.

Au bénéfice de la nature

Il y a un bout de temps déjà que l’organisation flamande de protection de la nature Limburgs Landschap, qui gère la réserve naturelle du Stramprooierbroek, souhaitait acquérir ce terrain. La municipalité néerlandaise de Weert en avait accepté la vente, mais le transfert effectif tardait à se concrétiser. Dans une proposition soumise au conseil municipal en février dernier, l’administration expliquait que ce retard était principalement dû à des incertitudes sur la propriété d’autres parcelles dans la région.

«En règle générale, une municipalité ne possède pas de terrain en dehors de ses propres frontières», a expliqué Henk Creemers, membre du groupe historique Heemkundegroep Stramproy et ancien employé de la municipalité de Weert, sur la chaîne néerlandaise L1. «Or, dans ce cas, il s’agit de terres situées à l’étranger, ce qui est assez particulier.»

C’est un si petit bout de terre, au milieu de nulle part, que pour la municipalité de Weert, cela ne représentait rien. Cela ne les préoccupait absolument pas aux Pays-Bas.

Frans Verstraete

responsable de l’association environnementaliste Limbourgs Landschap

Lorsqu’il travaillait encore pour la municipalité, Henk Creemers s’était déjà penché sur la question. «Un transfert de ce type n’est pas simple. Cela fonctionnera probablement avec ce bout de terrain, mais il y a aussi des chemins et des sentiers dans la région qui appartiennent probablement encore à Stramproy. Cela doit être clarifié.» Et d’ajouter: «Il y a même des héritiers de Stramproy qui possèdent encore un morceau de terre en Belgique».

Affaire conclue

La vente est désormais finalisée. À quel prix? Ce n’est pas clair. Mais il semble que le conseil municipal de Weert ait fait par le passé mention d’une offre de près de 30.000 euros. Un tarif très honorable. Le terrain herbeux ne fait, il est vrai, qu’un hectare, mais il est très important pour l’association de protection de la nature qui va pouvoir désormais poursuivre le développement de la réserve dont il fait partie.

«C’était jusqu’ici une petite partie d’une zone de 14 hectares que nous gérons déjà comme une prairie et que nous faisons pâturer. Nous pouvons maintenant l’intégrer, ce qui est également très intéressant pour la gestion de l’eau», a expliqué Frans Verstraeten, le responsable de l’association environnementaliste Limbourgs Landschap à la chaîne publique flamande VRT. Il salue l’aboutissement d’une négociation de trois ans sans anicroche: «C’est un si petit bout de terre, au milieu de nulle part, que pour la municipalité de Weert, cela ne représentait rien. Cela ne les préoccupait absolument pas aux Pays-Bas. Je suis donc très heureux que, après toutes ces années, l’affaire soit enfin conclue», conclut Frans Verstraeten. 

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Le Stramprooierbroek couvre au total environ 1.000 hectares, sur la zone transfrontalière qui s’étend côté belge sur Bree et Kinrooi. Environ 450 hectares de cette zone sont gérés par l’association Limburgs Landschap.

Vu du ciel, voici donc la Belgique plus grande d’un hectare. Et les Pays-Bas plus petits de la superficie équivalente.

En 1843, la frontière belgo-luxembourgeoise enfin précisée

Ce n’est pas la première fois que la Belgique et les Pays-Bas parviennent à un accord d’échanges ou d’achat/vente de terres. En 2016, les rôles ont été inversés lorsque les Néerlandais ont reçu 15 hectares de territoire belge. Trois presqu’îles situées dans la Meuse, au sud de Maastricht, avaient alors été cédées aux Pays-Bas. En échange, ceux-ci avaient transféré à la Belgique deux presqu’îles d’une superficie totale de cinq hectares. Ces îles avaient vu le jour lorsque la Meuse avait été redessinée près d’Eijsden dans les années 1970, mais une correction de la frontière avait été oubliée à l’époque.

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Dans le cas de la réserve naturelle du Stramprooierbroek, la vente a été menée pour gagner en cohérence au profit de la nature. Dans un registre moins sympathique, les conflits ont régulièrement revu la cartographie. À la suite de la Première Guerre mondiale, en 1919, les cantons d’Eupen, Malmedy, et Saint-Vith ont ainsi été transférés de l’Allemagne à la Belgique en vertu du Traité de Versailles. Un autre traité, celui de Maastricht, avait clarifié en 1843 la frontière entre la Belgique et le Grand-Duché du Luxembourg, nouveaux États qui faisaient auparavant partie des puissants Pays-Bas.