Paris, reportage

La procédure fera-t-elle office de précédent ? Le 24 octobre, à Paris, un militant écologiste français comparaissait pour la première fois devant un tribunal de police pour avoir dégonflé les pneus d’un SUV.

« L’urgence écologique » frappant à nos portes, Alex [*] dit « ne pas avoir eu d’autre choix ». Le 25 juillet 2022, il était agenouillé à côté d’un SUV dont il dégonflait le pneu lorsque des agents de police l’ont interpellé, dans le 11e arrondissement de Paris. Mercedes, Tesla, Audi… Quelques mètres plus loin, sept autres véhicules avaient tous un pneu à plat. Pour en arriver là, il avait d’abord fallu dévisser le capuchon de la valve du pneu avant d’y introduire 1 ou 2 lentilles pour faire pression une fois le capuchon revissé, et ainsi laisser échapper de l’air.

Sur leur pare-brise, Alex et d’autres militants avaient pris soin de laisser un mot : « Nous avons dégonflé un pneu de votre SUV qui représente une atteinte à l’environnement. Ne le prenez pas pour vous. »

Symbole d’une pollution effrénée

Si Alex a refusé sa contravention et l’ordonnance pénale, c’est parce qu’il souhaitait passer devant un juge afin d’alerter sur les conséquences environnementales des SUV. Émettant environ 20 à 25 % de plus de CO2 qu’une voiture moyenne, de par sa taille et son poids plus important, le SUV est devenu le symbole d’une pollution effrénée. Mais aussi, celui d’une « violence motorisée », après qu’un cycliste a été tué par un conducteur de ce type de véhicule le 15 octobre dernier à Paris. « Notre action n’a pas suffi, l’opinion publique a eu besoin d’un mort, sauf qu’il y en a déjà eu, des morts », souffle Alex.

À la barre, derrière ses boucles de jais qui parsèment son front, ce trentenaire admet ne pas avoir fait cet acte « le cœur léger ». « J’ai longuement pesé le pour et le contre », lance-t-il en préambule. Mais face à l’impasse constitutionnelle dans laquelle se trouve l’écologie, et une Convention citoyenne pour le climat « pas suivie d’effets », le jeune homme est venu cet été 2022, le plus chaud jamais enregistré en Europe, « avec [s]es modestes moyens tenter de former un contre-pouvoir », et ainsi « interpeller les propriétaires de SUV », mais aussi « la société dans son ensemble », de la « menace » que représentent ces véhicules.

« On n’aide pas le climat, on lui nuit »

Appelé comme témoin, l’ingénieur et essayiste Laurent Castaignède tient à « informer » le tribunal « d’une maladie qui existe dans le secteur automobile depuis une cinquantaine d’années ». À savoir : « l’autobésite ». Autrement dit, la masse des voitures qui ne cessent de grandir, passant de 900 kilos dans les années 70, à 1,5 tonne aujourd’hui. L’auteur de La ruée vers la voiture électrique, entre miracle et désastre (éd. Écosociété) fustige « la mode des SUV » qui accroît la production de véhicules plus gros et plus lourds et qu’il faut réguler.

Pendant ce temps, le procureur trépigne, et secoue la tête. « Je suis consterné par ce que j’entends, on nous prend pour des idiots insensibles aux questions climatiques, alors que ce n’est pas le sujet du jour », tonne le ministère public avant de questionner l’utilité de la manœuvre : « Pensez-vous sincèrement que la personne qui s’est fait dégonfler un pneu va se dire : “Oh là là mais qu’est-ce que j’ai fait, je vais arrêter de prendre ma voiture ?” Non, elle va seulement être en colère et votre message va être inaudible. En faisant ça, on n’aide pas le climat, on lui nuit. » Pour ce qu’il qualifie de « vandalisme », il requiert une amende de 400 euros.

« Une lentille dans un pneu »

Hanna Rajbenbach, l’avocate d’Axel, plaide de son côté « l’état de nécessité » et la « liberté d’expression » d’une action politique pour laquelle « faire sortir de l’air n’est pas une dégradation ». « Voler de l’air n’existe pas », insiste-t-elle en filant la comparaison avec le « siphonnage d’essence ». Quant à la proportionnalité de l’acte « tourné vers l’intérêt général », elle conclut : « On en revient à une lentille dans un pneu, c’est tout. »

Après quelques minutes de délibération, le président Pierre-Alain Pedezert condamne Alex à 300 euros d’amende. « La jurisprudence de la Cour de cassation est constante sur l’urgence climatique. Mais la proportionnalité et la nécessité de l’action ne peuvent pas être retenues ici, car d’autres moyens existent et peuvent être utilisés pour atteindre votre objectif de manière plus efficace », avance-t-il.

À la sortie du tribunal, Alex se veut optimiste. « On se sent tout de même entendus, le président a reconnu que ce n’était pas du vandalisme et a choisi une peine plus légère que celle requise par le procureur. » Derrière ses lunettes rondes, le militant laisse échapper un sourire : « C’est déjà ça. » Il comparaîtra de nouveau, le 7 novembre, pour avoir bloqué une route aux côtés des militants de Dernière rénovation.

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Reportage —

Social

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Notes

[*] Le prénom a été modifié.

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