Ces drôles de territoires, aux contours fictifs, ne sont pas reconnus par les Nations unies. Ils n’en demeurent pas moins une vraie source de curiosité pour les touristes de passage. Découverte.

C’est un rêve d’enfance. Pouvoir constituer un royaume dans lequel on serait souverain et où seules nos règles primeraient. Un fantasme que certains, une fois adultes, ont voulu concrétiser. Exceptions géographiques ou anomalies fantaisistes, les micronations parsèment les quatre coins du globe. Et constituent un phénomène loin d’être négligeable. Il en existerait plus 400 dans le monde, contre une vingtaine au début du XXe siècle, rappelait Le Monde en 2021. Un chiffre toutefois difficile à évaluer tant ces territoires et entités ne relèvent d’aucun organe officiel, et surtout pas de celui de l’Organisation des Nations unies, contrairement aux micro-États. «[Ces derniers] ont un territoire minuscule mais sont reconnus comme tels. Une micronation, en revanche, peut revendiquer un territoire gigantesque, mais n’est pas reconnue par l’ONU», explique l’essayiste Bruno Fuligni, dans les colonnes du Figaro

Si les premières micronations modernes remontent au XXe siècle, avec l’une des plus célèbres, Sealand, créée en 1967 sur une ancienne plateforme militaire au large du Royaume-Uni, ces drôles entités auraient en réalité vu le jour dès le XVIIe siècle. Et, aujourd’hui, elles peuvent revêtir différentes formes. Ici, principautés, républiques et empires naissent de l’imaginaire de créateurs atypiques. Certaines micro-nations relèvent d’une pure fantaisie, d’autres ont adopté tous les attributs d’un État : constitution, drapeau, monnaie, passeports… et prétendent même à une reconnaissance sur la scène internationale, tel que le Liberland, coincé entre la Croatie et la Serbie. Et elles ne sont pas sans provoquer quelques fascinations chez les voyageurs. Il est d’ailleurs possible d’en visiter certaines en Europe. Découverte de ces territoires pas comme les autres.

Principauté d’Arbézie, dans la station des Rousses (France et Suisse)

L’Arbézie, un hôtel deux étoiles, se situe à cheval sur la frontière franco-suisse. En 1958, son propriétaire autoproclame une principauté.
L’Arbézie

De l’extérieur, difficile d’imaginer toute son histoire. Pourtant, L’Arbézie, un hôtel deux étoiles situé à cheval sur la frontière franco-suisse, peut se targuer d’avoir vécu plusieurs vies. À la fois théâtre de contrebande, lieu de résistance et cachette pendant la guerre, l’établissement de dix chambres est également une micronation. En 1958, le propriétaire, Max Arbez, autoproclame la principauté d’Arbézie. Et c’est d’ailleurs en son sein que se joueront les premières heures des accords d’Évian, qui mettent fin à la guerre d’Algérie en 1962. L’hôtel est une véritable attraction pour les touristes de passage, qui s’amusent à faire saute-frontière, passant de la France à la Suisse et vice-versa. Dans certaines chambres, la tête est en Hexagone et les pieds en territoire helvétique. Une drôle d’expérience qui fait tout le charme de cet hôtel-restaurant, dont le prix des chambres débute à 89 euros. 

République du Saugeais, en Bourgogne-Franche-Comté (France)

Dans le Haut-Doubs, 11 villages et quelques milliers d’habitants forment une micronation : la République du Saugeais, qui a fêté ses 77 ans en 2024.
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Qui a dit qu’il y avait un seul président de la République en France ? Dans le Haut-Doubs, 11 villages et quelques milliers d’habitants forment une micronation : la République du Saugeais, qui a célébré son 75e anniversaire, en 2022. En 1947, tout naît d’une plaisanterie entre le préfet du Doubs de l’époque et un hôtelier de la région. Une boutade qui a peu à peu pris des airs sérieux au fil des années. Le territoire de 128 km² possède tout l’attirail d’un État autonome, sans en avoir le statut : un président, un Premier ministre, même des «frontières» et des postes douaniers. Sans compter l’arsenal culturel avec un hymne national, un drapeau, une capitale (la petite commune de Montbenoît) et même son propre droit coutumier. Les visiteurs de passage peuvent ainsi se faire remettre des «laissez-passer» et être «arrêtés» par des douaniers bénévoles durant la haute saison touristique. Un protocole, qui relève du folklore, mais qui fait tout le charme de cette république.. à l’intérieur de la République.

République d’Užupis à Vilnius (Lituanie)

La République d’Užupis possède une constitution, traduite en une cinquantaine de langues.
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En plein centre historique de Vilnius, les moins attentifs pourraient passer à côté de ce panneau recouvert de petits graffitis. Situé à l’entrée du pont, qui traverse la rivière Vilnia, il indique pourtant que l’on entre dans l’«Užupio Respublika», la République d’Užupis en français. Ce quartier insolite, à l’ambiance bohème, est une micronation, autoproclamée depuis 1998 et peuplée d’environ 7000 habitants. Il témoigne d’une histoire riche. Car à l’origine, Užupis est l’un des plus anciens quartiers de Vilnius. D’abord ouvrier, il est délaissé sous l’ère soviétique et devient l’un des lieux les plus malfamés de la ville. Quand la Lituanie retrouve son indépendance en 1991, les artistes abondent vers Užupis, qui se transforme peu à peu en un Montmartre lituanien. Avec ses charmantes maisons fleuries, son street art et ses petits cafés et échoppes, Užupis attire désormais en masse les touristes de passage. Beaucoup intrigués par son hymne, sa monnaie, sa fête annuelle organisée le 1er avril et sa constitution traduite en une cinquantaine de langues. Parmi les règles énoncées : «L’Homme a le droit de mourir, mais ce n’est pas un devoir» ou «Le chat a le droit de ne pas aimer son maître, mais doit le soutenir dans les moments difficiles».

Kugelmugel, à Vienne (Autriche)

Tout part d’un conflit. En 1971, Edwin Lipburger construit une habitation sphérique à Katzelsdorf, petite commune de Basse-Autriche. Problème, les autorités apprécient peu cette maison-boule de 8 mètres de diamètre, réalisée sans permis de construire, et condamnent l’artiste à détruire son œuvre, puis à reconstruire un bâtiment conforme aux règles de l’urbanisme. C’est sans compter sur l’excentricité d’Edwin Lipburger, qui ne l’entend pas de cette manière. En 1976, il autoproclame la République de Kugelmugel, dont il serait le seul résident. Après de multiples batailles juridiques, il finit par déménager six ans plus tard dans le parc du Prater, à Vienne. Après sa mort en 2015, la capitale autrichienne décide de préserver cette curiosité architecturale. Les visiteurs peuvent ainsi découvrir la micronation – dotée de son propre drapeau et d’un hymne – qui se résume à la seule maison de l’artiste, grande de 100 m². 

Christiania, à Copenhague (Danemark)

La ville libre de Christiania a été créée en 1971,
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C’est une expérience sociale comme on en voit peu dans le monde. Avec ses entrepôts, maisons, cabanes et fresques murales, le quartier de Christiania, à Copenhague, entretient savamment une allure bohème. Fondée en 1971 sur une ancienne base militaire par des hippies, l’enclave libertaire a cultivé son indépendance pendant plusieurs décennies. Avec en son cœur, la Pusher Street, rue où des dealeurs vendent à la vue de tous du cannabis en toute illégalité et objet d’une guerre avec les habitants. Selon ses statuts, la «ville libre» autoproclamée «appartient à tout le monde et à personne» et chaque décision est encore prise, de manière collégiale, par les habitants du quartier. Une forme de société utopiste, visitée par près d’un demi-million de touristes chaque année, attirés par l’ambiance anarchiste et original de cette enclave, où les voitures sont interdites au profit des vélos et des triporteurs. Chaque année, Christiania organise un marché de Noël, considéré comme l’un des meilleurs de Copenhague.