Débâcle dans l’économie verte –
Face aux petits porteurs ruinés, Bertrand Piccard se dit «honteux»
Les investisseurs lésés par l’effondrement de PrimeEnergy se sont réunis mercredi à Carouge. L’aventurier vaudois, «ambassadeur» de la société, s’est expliqué.
Les explications de Bertrand Piccard étaient très attendues. La salle débordait.
Irina Popa
Bertrand Piccard est un habitué des discours face au public. Mais mercredi soir, l’ambiance était différente. Une salle bondée au sous-sol d’un restaurant de l’avenue de la Praille n’accueillait pas cette fois une conférence bien payée sur la transition écologique, mais une réunion tendue, avec des investisseurs en attente de réponses.
L’entrepreneur s’est présenté pour s’expliquer «à cœur ouvert» sur l’effondrement de la société photovoltaïque PrimeEnergy, qu’il a promue sans relâche durant des années.
Le public s’était massivement déplacé. La salle réservée par une «task force» de volontaires offrait une capacité de 160 convives. À 19 h 50, dix minutes avant le début de la soirée, les lieux débordaient. Des dizaines de petits porteurs ont dû se résigner à suivre les débats en ligne. Le nombre de victimes est actuellement estimé entre 1000 et 2000 personnes, pour un montant tournant autour de 100 millions de francs.
Plus de 200 personnes s’étaient déplacées, toutes n’ont pas pu entrer dans la salle.
Irina Popa
«Qu’un ambassadeur, pas un dirigeant»
«Nous traversons un moment désastreux, pour nous tous, en tant qu’investisseurs, mais aussi pour la cause des énergies renouvelables que nous cherchions à promouvoir.» Cela sera son argument clé et répété: il se considère tout aussi victime de l’effondrement de PrimeEnergy que les autres investisseurs, malgré son rôle de figure emblématique de l’entreprise.
Bertrand Piccard insiste sur le fait qu’il n’était qu’un «ambassadeur sponsorisé» de PrimeEnergy, sans responsabilités de gestion. Pour illustrer sa défense, il ose une comparaison: «Personne n’a reproché quoi que ce soit à Roger Federer après la faillite de Credit Suisse», en référence aux campagnes de publicité de la banque.
Cependant, si des investisseurs, ayant perdu entre 10’000 et plusieurs centaines de milliers de francs, sont là ce soir, c’est bien parce qu’ils avaient placé leur confiance dans l’image et l’expertise de Bertrand Piccard. Son visage était omniprésent sur les affiches et brochures de PrimeEnergy, et il a activement participé à sa promotion. Sa fondation, Solar Impulse, avait même attribué un label à l’entreprise, renforçant sa crédibilité. Rémunéré pour cette activité, Piccard a refusé d’en dévoiler le montant à la «Tribune de Genève», invoquant sa «sphère privée».
La société PrimeEnergy a joui d’un label accordé par la fondation de Bertrand Piccard. Ici, l’actionnaire principal posait aux côtés de son diplôme.
DR
Une image qui a convaincu
«Jamais je n’aurais investi si la présence de Monsieur Piccard ne m’avait pas rassuré», nous a affirmé un retraité aux yeux humides qui voulait faire fructifier ses réserves pour financer les études de ses petits-enfants. Sa voisine acquiesce: «J’ai été convaincue de placer de l’argent après une présentation de Bertrand Piccard à Plan-les-Ouates.»
«Je suis honteux, car vous avez perdu de l’argent en me faisant confiance», reconnaît l’entrepreneur. «Et oui», murmure une partie du public, composé en grande majorité de personnes âgées. Si la plupart des lésés semblent apprécier sa présence, quelques regards noirs dans l’assistance laissent penser que son aura a pris un coup.
Piccard y croit encore
Le modèle de vente des produits financiers verts de PrimeEnergy reposait sur des techniques de démarchage téléphonique agressives et des événements publics. «Nous appelions des gens au hasard durant les heures de travail, nous a confié un ancien commercial, nous tombions donc logiquement souvent sur des retraités.»
Peu importe que la société photovoltaïque soit au bord de l’effondrement, Bertrand Piccard continue de défendre «l’excellent modèle» du groupe, qui aurait uniquement été plombé par une mauvaise gestion. Il a désigné deux coupables: l’actionnaire principal, accusé d’avoir siphonné les caisses grâce à des prêts frauduleux, et PwC, le cabinet de conseil qui a validé les comptes.
Depuis le début de la débâcle, Bertrand Piccard bénéficie d’un privilège que les autres investisseurs n’ont pas: il a eu des contacts avec l’actionnaire principal. Ce dernier ne l’a pas convaincu, il propose de l’attaquer au pénal. En revanche, il maintient sa confiance envers le CEO du groupe, qu’il considère comme un allié. Un avocat lésé ne partage pas cet avis, soulignant que le directeur est «impliqué à tous les niveaux de la structure complexe du groupe».
Des années de procédures en vue
Bertrand Piccard a également appuyé une proposition formulée par le directeur: renoncer collectivement aux derniers intérêts des obligations, dans le but de maintenir suffisamment de liquidité pour éviter la faillite et espérer une relance de l’entreprise et le maintien de l’activité de ses filiales afin de faire remonter de l’argent.
Le reste de la soirée a été consacré aux mesures urgentes à prendre: choix d’avocats, dépôt de plaintes et coordination des actions. Le travail acharné et bénévole de la task force a été salué à plusieurs reprises par des applaudissements nourris. Jérôme Fontana, qui coordonne l’équipe, confie ne pas avoir beaucoup dormi ces derniers jours. Il s’attend à ce que les procédures «prennent des années».
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