Il a clairement annoncé la couleur. Donald Trump n’a cessé de répéter ces derniers mois qu’il renforcerait le virage protectionniste pris par les États-Unis en entravant les exportations chinoises, mais aussi celles en provenance du reste du monde. Habitué des propos chocs, le milliardaire n’hésitait pas à déclarer en meeting vouloir « voler les emplois des autres pays ».
Pour ce faire, le candidat a promis d’augmenter de soixante points les tarifs douaniers sur les produits chinois, et de dix points ceux portant sur les marchandises en provenance de tous les pays – plus tard dans la campagne, il a même été jusqu’à évoquer une hausse de 20 points.
Désormais élu, Donald Trump va pouvoir mettre ses menaces à exécution. Il aura d’autant plus les mains libres que le Congrès pourrait basculer complètement du côté républicain. Et qu’importe si cela plonge le monde dans une guerre commerciale, les uns et les autres répondant à coup de mesures de rétorsion. Le temps où les États-Unis étaient un acteur clé du multilatéralisme semble bel et bien terminé.
Moins de marge pour les entreprises européennes
À cette heure, il est difficile de saisir avec précision les effets en Europe d’un tel choc, dont l’amplitude dépend des États membres, des secteurs et des entreprises. Dans quelle mesure le protectionnisme à la sauce américaine viendra-t-il saper la compétitivité des groupes du Vieux Continent ? « Dix ou vingt pour cent de tarifs douaniers, cela reste gérable pour des entreprises qui ont une marge importante et une compétitivité hors prix. Elles pourront en effet rogner sur leur marge pour éviter de répercuter complètement cette hausse sur leurs prix, répond Sarah Guillou, économiste à Sciences Po Paris. Enrevanche, les sociétés qui ne sont pas en mesure de jouer sur leur marge seront pénalisées. Néanmoins, si elles œuvrent dans des domaines ou les États-Unis ne disposent pas de capacité de production, elles conserveront à court-moyen terme leurs clients américains qui paieront un prix plus cher. »
La politique protectionniste de Donald Trump devrait, par ailleurs, entraîner une reprise de l’inflation aux États-Unis avec de possibles conséquences en cascade. Pour la juguler, la Fed, la réserve fédérale, pourrait décider de relever ses taux. Résultat, la Banque centrale européenne, afin d’éviter une dépréciation de l’euro face au dollar, pourrait mettre un terme à son cycle de baisse des taux ; cette décision aurait un potentiel effet sur la croissance en zone euro.
L’Europe sous pression de la surproduction chinoise
L’Europe va aussi se retrouver sous la pression des exportations chinoises. Car Pékin, ne pouvant pas accéder au marché américain devrait réorienter sa surproduction vers l’UE qui est aujourd’hui son premier partenaire commercial. Des produits chinois à des prix très compétitifs débarqueront ainsi sur le Vieux Continent.
« L’Union européenne est dans une situation délicate car sa croissance patine et les marchandises bon marchéen provenance de l’empire du Milieu constituent un carburant pour sa consommation. Donc, faute de politique industrielle propre, elle peut difficilement s’opposer à l’arrivée de ces nouveaux flux, explique Benjamin Bürbaumer, maître de conférences en sciences économiques à Sciences Po Bordeaux. Et on l’a bien vu avec les voitures électriques, les prix des produits chinois défient tellement toute concurrence que même avec des tarifs douaniers, ils restent compétitifs. »
La Chine ne va pas seulement réorienter ses exportations. Frappé de plein fouet par les mesures américaines – son PIB reculerait d’1,3 % d’ici 2030 selon les projections du Centre d’études prospectives et d’informations internationales – le pays pourrait également réduire ses importations. Le déficit commercial de l’UE à l’égard de l’empire du Milieu, qui frôlait les 400 milliards d’euros en 2023, devrait donc s’aggraver. Les Vingt-Sept perdraient également d’autres marchés à l’export, du fait de la récession mondiale qu’entraînerait la politique protectionniste de l’administration Trump.
Aux effets de ce durcissement de la politique commerciale, s’ajouteront ceux de la politique énergétique du nouveau président. Donald Trump est favorable à l’exploitation par fracturation hydraulique du gaz et du pétrole de schiste, et entend poursuivre le développement des forages. L’écart entre les coûts de l’énergie des deux côtés de l’Atlantique devrait continuer de se creuser, au détriment des industriels européens. « La désindustrialisation risque donc bien d’accélérer (…) avec de fortes pertes d’emploi », prédit dans une note Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG School of management.
Inquiétude palpable à Bruxelles
Dès lors, face à cette puissance énergétique qui se barricade, l’Europe apparaît dans une position inconfortable. D’autant plus qu’elle ne cesse de décrocher face à une Amérique à la santé économique insolente, qui a investi massivement ces dernières années pour se réindustrialiser dans les secteurs stratégiques de la transition. En mars et en septembre dernier, les anciens présidents du conseil Italien, Enrico Letta et Mario Draghi, avaient déjà tiré la sonnette d’alarme dans deux rapports sur le marché unique et la compétitivité.
À Bruxelles, le scénario d’un retour au pouvoir de Donald Trump était dans toutes les têtes depuis des mois. En février dernier, la direction générale du commerce de la Commission européenne assurait travailler sur un plan pour s’y préparer. Suffisant face au choc qui s’annonce ? Samy Chaar, chef économiste de la banque suisse Lombard Odier en doute : « L’UE a beaucoup de mal à anticiper car elle est trop fragmentée. En revanche, lorsque les 27 sont au dos au mur, ils parviennent à s’unir pour agir. L’élection de Donald Trump ouvre une période de crise, c’est donc l’occasion. »