Pourquoi avoir dépensé 700 millions de dollars pour racheter la participation de votre partenaire chinois Tsingshan en Argentine ?

Cette opération confirme la transformation d’Eramet et referme la longue parenthèse durant laquelle le groupe était obligé de céder des bijoux de famille, en l’occurrence des participations dans nos gisements, pour financer chaque projet de croissance. Depuis que nous avons cédé Aubert & Duval et Erasteel et trouvé un accord avec l’Etat pour que la SLN, notre filiale calédonienne, ne pèse plus sur notre bilan , nous sommes plus forts et cela nous permet de reprendre le contrôle de notre destinée. Nous avons désormais 100 % d’un magnifique gisement de lithium, au coeur de notre stratégie de positionnement sur les métaux de la transition énergétique.

Comment comptez-vous financer les prochaines phases de développement de la mine de lithium qui devraient vous permettre d’atteindre 75.000 tonnes par an ?

Nous sommes un peu moins pressés pour la deuxième phase car, avec cette acquisition, nous avons en quelque sorte déjà doublé notre production à 24.000 tonnes par an. Une fois que l’usine aura atteint son rythme de croisière, mi-2025, la mine de lithium va commencer à générer un flux de trésorerie qui nous permettra de financer les prochains investissements. Pour le moment nous sommes en train de réévaluer le calendrier et les modalités d’exécution. Mais nous gardons comme objectif de produire 75.000 tonnes de carbonate de lithium par an, de quoi équiper 2 millions de voitures électriques et couvrir les besoins de l’industrie automobile française.

Comment jugez-vous le marché du lithium qui semble dans un creux…

C’est un creux de prix temporaire. Structurellement, la demande connaît une croissance de 20 % cette année et devrait doubler tous les cinq ans dans les 20 prochaines années. Actuellement, le marché du lithium est assez étroit, peu liquide, sans contrats à terme, donc un écart de quelques pourcents entre l’offre et la demande peut entraîner de fortes variations de cours. Avec le temps et à mesure que le marché va croître, la volatilité sera moins forte. En 2025, il y aura encore un petit excédent, mais, vers 2026-2027, la demande sera supérieure à l’offre et les prix devraient revenir vers les 15.000 à 20.000 dollars, ce qu’on estime être la tendance de long terme. Ils ne remonteront pas à 80.000 dollars comme en 2022, des prix farfelus.

Etre seul à bord vous permet-il d’attirer les investisseurs ?

Nous n’avons pas racheté la participation de Tsingshan pour obtenir des financements de l’Union européenne ou d’autres investisseurs. Mais il est vrai qu’être un acteur purement occidental facilite l’accès au marché américain dans le cadre de l’ Inflation Reduction Act et favorise l’accès à des clients ou des pays soucieux de diversifier leurs approvisionnements hors de Chine.

Vous investissez 700 millions de dollars dans le lithium pour les voitures électriques, mais suspendez le projet recyclage. Le message paraît ambigu…

Ce n’est pas incompatible. Nous sommes convaincus que la pénétration du véhicule électrique va se poursuivre, y compris en Europe, notamment grâce à la baisse des prix. Le sujet pour le recyclage, c’est son modèle économique qui dépend beaucoup de l’écosystème. La chaîne de valeur européenne connaît des débuts compliqués avec plusieurs projets qui sont en difficulté.

Être un acteur purement occidental facilite l’accès au marché américain dans le cadre de l’Inflation Reduction Act.

Quand on regarde le paysage, on s’aperçoit qu’il y a peu de fabricants de batteries, donc peu de rebuts pour alimenter notre usine, et peu voire pas de clients pour nos sels de nickel cobalt et pour notre lithium. Il manque des maillons essentiels comme les fabricants de précurseurs de cathodes. Tant que la chaîne de valeur ne sera pas complète en Europe, il n’y aura pas de recyclage car il n’existe pas de modèle économique sans ressources et sans clients.

Le développement des batteries LFP sans nickel ni cobalt est-il aussi un frein à la construction d’une économie circulaire ?

Les capacités européennes actuelles en Europe reposent encore majoritairement sur les batteries de chimie NMC (nickel manganèse cobalt). Mais il est vrai que la chimie LFP (lithium fer phosphate) est envisagée pour les futures lignes. La technologie LFP permet de construire des véhicules moins chers et elle est adaptée pour les petites voitures et pour la ville, mais cela pose un vrai problème pour le recyclage. En dehors du lithium, il n’y a aucun métal de valeur à récupérer. Il faudrait même « payer » pour recycler ces batteries. Cette donnée doit être prise en compte par la filière.

Les taxes européennes sur les voitures électriques chinoises vous paraissent-elles une bonne solution pour développer la chaîne de valeur en Europe ?

A court terme, il n’est peut-être pas inutile de se protéger . Le secteur de la voiture électrique est hyper-compétitif en Chine et il existe beaucoup de marques qui pourraient être tentées de brader leurs véhicules en Europe. L’Europe aurait intérêt à faire pour la voiture électrique ce que la Chine a fait pour la voiture thermique il y a vingt ou trente ans. Pour accéder à leur marché, il fallait s’installer dans le pays, en coentreprise avec transfert de technologie. Cette stratégie nous permettrait peut-être de rattraper notre retard.

La Chine est votre premier client de manganèse. Est-ce que les stimulus produisent les effets espérés ?

Nous observons des signes qui vont dans le bon sens sur le marché de l’acier, mais il est encore un peu tôt pour juger si les stimulus annoncés récemment seront suffisants pour relancer la consommation et la construction.