Colère, incompréhension, dégoût, compassion, déni total. Les compagnes des accusés qui comparaissent depuis début septembre au procès des viols de Mazan ont expérimenté une palette de sentiments depuis que l’affaire a éclaté. Pour Vanessa P., qui n’a “plus aucune considération pour” son ex, la colère est froide. Comme une cinquantaine d’autres hommes, âgés de 26 à 74 ans, Quentin H., 34 ans, alors gardien de prison, avait répondu à l’invitation de Dominique Pelicot de venir violer son épouse à leur domicile conjugal de Mazan. “Quand on voit de quoi il est accusé, on peut douter de tout”, “c’est un manipulateur”, a ajouté à la barre cette auxiliaire-puéricultrice, sans lancer un regard à son ancien partenaire.
“C’était quelqu’un de merveilleux. Il nous a anéantis”
“Manipulateur”, un qualificatif également utilisé par Émilie O., 33 ans, a propos d’Hugues M., 39 ans. Leur union a pris fin en novembre 2020, quand les faits visant Dominique Pelicot et son mari ont été révélés. Au passage, elle a découvert les multiples relations extraconjugales de celui qui partageait sa vie. “Je pensais vivre une vie paisible et épanouissante, mais j’étais dans l’erreur”. Depuis, elle vit avec le doute d’avoir été victime elle-même de soumission chimique, comme Gisèle Pelicot, assommée d’anxiolytiques et violée pendant dix ans par son mari et cette cinquantaine d’hommes qu’il avait recrutés sur internet.
Un doute que n’a plus Cilia M. : entre 2015 et 2018, son mari, Jean-Pierre M., 63 ans, et Dominique Pelicot, 71 ans, l’ont violée une dizaine de fois en reproduisant sur elle le procédé utilisé sur Gisèle. “C’était quelqu’un de merveilleux. Il nous a anéantis”, a-t-elle témoigné, précisant qu’elle ne “pardonnerait jamais” à son ex-mari, dont elle a cependant gardé le nom et contre qui elle a refusé de porter plainte, pour “protéger (leurs) cinq enfants”.
D’autres s’interrogent encore, quitte à trouver des excuses à leurs ex-compagnons. “Il a toujours été respectueux: quand c’était non, c’était non. Il n’a jamais insisté (…) Je ne comprends absolument pas pourquoi il est là aujourd’hui”, s’est lamentée Corinne M., déjà séparée de son mari, Thierry P., au moment des faits qui lui sont reprochés. Leur couple avait été brisé par le décès de leur fils dans un accident de la route à la suite duquel Thierry P. avait sombré dans l’alcoolisme.
“Je ne le vois pas du tout comme un violeur”
De son côté, Samira T. cherche “des réponses à (ses) questions depuis trois ans et demi” au sujet de son compagnon, Jérôme V., accusé d’avoir violé à six reprises Gisèle Pelicot en 2020. Mais elle ne l’a pas quitté et elle persiste à “le soutenir” : “Si on s’est rencontrés, ce n’est pas un hasard, j’avais cette mission”. “Il n’avait pas de raison d’aller voir ailleurs”, a ajouté, en pleurs, celle qui avait pourtant accepté ses demandes de relations sexuelles quasi quotidiennes, “à 22h00”, de prises de photos intimes ou encore de promenades dénudées.
Allant jusqu’à s’accuser, Hien B., elle, se sent responsable “d’avoir refusé tout le temps” les avances de son mari, Jean-Luc L., à une époque où elle s’occupait de sa mère malade : “Je pense qu’en tant qu’homme il a voulu voir ailleurs.” Comme elle, Sonia R., en couple avec Patrice N. depuis 16 mois, ne veut penser qu’à “l’avenir”: “Je le soutiens et lui donne ma confiance totale. Pour moi il y a un présent et il y aura un après, quoi qu’il en coûte, quoi qu’il en soit, quoi qu’il se passe.”
“Je ne le vois pas du tout comme un violeur. Ce n’est pas lui” , a assuré devant la cour Lucie B., concubine de Grégory S. depuis sept ans et de qui elle attend un troisième enfant. Après les faits, en 2017, “il m’avait précisé que c’était surtout un délire du mari et sa femme, qu’elle était bourrée.”.
C’est “au-delà de leur entendement”
“Dans les affaires de violences sexuelles, les proches des accusés ont parfois eux-mêmes du mal à imaginer la violence, parce que c’est au-delà de leur entendement”, explique Véronique Le Goaziou, chercheuse associée au Laboratoire méditerranéen de sociologie et spécialiste des violences sexuelles. “Dans certains cas, ils n’apportent pas crédit aux faits rapportés par les victimes, poursuit-elle. Ils ne peuvent ou ne veulent le croire.” Et d’ajouter: “Les violences sexuelles n’impactent pas seulement les auteurs et leurs victimes, (…) ce sont des familles entières qui en subissent les conséquences. (…) Quant (aux compagnes), elles sont dans une forme de sidération**”, précise-t-elle.
À lire aussi